Les Orchidées, qui sont-elles ?
Les Orchidaceae sont une des familles de plantes à fleurs les plus diversifiées du règne végétale, représentant prêt de 10% d’entre elles et comptant plus de 25 000 à 30 000 espèces réparties en 850 genres. Elles appartiennent à la grande famille des monocotylédones, dont elles représentent cette fois 40% des espèces.
Ces plantes à symétrie bilatérale possèdent un pétale central différencié en labelle sur lequel se posent les insectes. Leur pollen est regroupé dans une sorte de petit réceptacle qu’on nomme pollinie et dont la base collante permet leur accrochage aux insectes et donc leur transport pour assurer la pollinisation. La pollinie a la spécificité de se courber en quelques secondes afin de faciliter son dépôt sur le stigmate d’autres fleurs et donc leur pollinisation. Cette technique permet ainsi aux orchidées de supporter de faible taux de pollinisation puisqu’un seul pollinisateur engendre la production de milliers de graines ! Nous reviendrons dans la première partie de cet article sur les techniques spécifiques mises en place par les orchidées afin d’attirer les pollinisateurs et qui sont uniques dans le règne végétal.
Même si la majorité des espèces d’Orchidées se retrouvent dans les régions tropicales, elles restent une famille largement répandue qui a colonisé tous les milieux à l'exception des déserts et des cours d'eau. Ces plantes peuvent être terrestres mais sont, la plupart du temps, épiphytes, c’est-à-dire qu’elles poussent sur un tronc ou des branches. Elles peuvent même être lithophytes, poussant cette fois sur des pierres. Ce sont donc des plantes qui possèdent des interactions importantes avec leur environnement et qui, nous le verrons dans la seconde partie de cet article, peuvent même en être dépendante lorsque nous aborderont leur mycorhization.
Pollinisation par manipulation
De nombreuses espèces d'orchidées ont développé des stratégies complexes d'attraction des pollinisateurs. Si quelques espèces d’Orchidées s’auto-pollinisent, la plupart d’entre elles ne produisent pas de nectar mais utilisent principalement trois stratégies d’attraction des pollinisateurs : le piège à odeur, le leurre visuel et le leurre sexuel.
Le piège à odeur
Cette stratégie est notamment employée par le célèbre sabot de Vénus. Ces plantes émettent une odeur qui attire certaines abeilles. Ces dernières tombent dans le labelle en forme de poche de ses plantes. Pour en ressortir elles doivent s’accrocher à une rangée de poil interne et n’ont d’autre choix que d’entrer en contact avec les pollinies, qui se déposent alors sur elle et qui pourront féconder d’autres plantes lorsque ses insectes se déposeront sur un autre sabot.
Le leurre visuel
Cette stratégie est plus répandue et pratiquée par plusieurs genres d’orchidées différents et possède plusieurs formes. La plante peut en effet avoir une morphologie qui imite celle d’un abri naturel, ce qui attirera les insectes pollinisateurs. Elle peut aussi fleurir de manière précoce. Ou encore imiter la morphologie d’une espèce de plante nectarifère.
Le leurre sexuel
Cette stratégie mimétique se retrouve principalement chez les espèces du genre Ophrys et est spécifique d’une espèce d’insecte. En effet, leur labelle mime la forme, la taille et les couleurs et parfois même la pilosité des femelles insectes. Qui plus est, le labelle peut émettre une odeur semblable aux phéromones sexuelles de ces insectes (mimétisme chimique), et ce au moment de l’année correspondant globalement à la période reproductive de son/ses pollinisateurs (synchronisation de la phénologie) ! Ainsi, les mâles sont attirés et adoptent un comportement de pseudo-copulation avec le labelle de la plante. Ces mouvements les mettent ainsi en contact avec les pollinies, et quand ces derniers reproduisent ce comportement sur une autre plante, ils déposent ceux-ci sur le stigmate de ces fleurs insectiformes.
Ces stratégies sont ce qu’on appelle des stratégies déceptives dont le taux de pollinisation n’est pas très élevé. En effet, un mâle trompé par une orchidée sera capable d’y associer une odeur et une position spatiale qui le dissuaderont de revisiter cette fleur. Ces stratégies sont cependant très spécifiques et permettent une haute efficacité du phénomène. Les rares visites d’espèces proches, donc ses interactions croisées, permettent cela dit la formation d’hybrides naturels.
Ce sont aussi des interactions qui ne sont pas mutualistes puisque seule l’orchidée tire ici un bénéfice de sa relation avec l’insecte. En effet ce dernier ressort de cette interaction, ni avec nourriture, ni avec partenaire sexuelle. On constate donc que ces espèces de plantes se montrent très attractives par leur couleur et leur ornementation.
Certaines espèces d’orchidées produisent quant à elle du nectar et ont donc des interactions mutualistes avec ses insectes pollinisateurs. Dans le cas de ces relations, on constate que les fleurs sont souvent moins colorées et peu ornementées, rusant de moins d’artifices pour attirer les pollinisateurs.
Une fois cette pollinisation effectuée, la fécondation aboutira à la production d’un fruit qui contiendra les graines de la nouvelle génération.
Mycorhization : une relation avec un champignon ?
Ces graines sont de très petite taille et sont produites en très grand nombre : de cette façon elles peuvent être facilement transportées par les vents. En fait, ces semences sont si petites qu'elles ne possèdent pas les réserves nutritives suffisantes pour engendrer la germination. Cette dernière n’est donc possible que par la mise en place d’une relation symbiotique avec un champignon, c’est ce qu’on nomme la mycorhization (cf article relation plante-champignon). Ainsi les champignons avec lequel elle se met en relation va lui fournir le carbone, le sucre et les autres éléments indispensable à son développement. Cet organe mixte champignon‑racine est appelé mycorhize.
Le champignon va alors stimuler la croissance de l’embryon qui deviendra un protocorme, c’est-à-dire un amas globulaire de cellules indifférenciées. A ce stade la plante est dite mycohétérotrophe, soit dépendante de son partenaire fongique pour obtenir ses apports en carbone.
Cette association se met en place avant que les orchidées ne développent leur propre autotrophie chlorophyllienne en carbone, en devenant verte et capable de photosynthèse et produisant leur propre sucre à partir de cette énergie lumineuse.
Certaines plantes vont en céder à leur symbiote fongique, en échange de sels minéraux et d’eau, ce qui correspond au fonctionnement habituel des mycorhize.
D’autres vont conserver la photosynthèse à l’âge adulte en plus de cette symbiose et obtiennent leur carbone par ces deux voies ; on les appelle mixotrophes.
Mais certaines orchidées restent dépourvues de chloroplaste (présent chez les cellules photosynthétiques) et restera donc dépendant de son symbiote pour continuer de se développer. La plante reste donc mycohétérotrophe. De façon notable, le taux de mycorhization des albinos (organismes non chlorophylliens donc) est le double de celui des individus verts. A noter que ces plantes mycohétérotrophe se retrouve le plus souvent aux abords des sous-bois et à l’ombre.
Anecdotes
° Les plus petites orchidées ne mesurent que de 1 à 5 millimètres (Bulbophyllum minutissimum en Australie) et ne pèse probablement pas plus d'un gramme ou deux alors que la plus grosse orchidée connue (Grammatophyllum speciosum) est une épiphyte qui peut peser plus d'une tonne et développer des tiges d'environ 3 mètres de long.
° Les orchidées des régions tempérées et méditerranéennes, aux tubercules très suggestifs, ont inspiré aux adeptes de la théorie des signatures un éventuel aphrodisiaque : on sait aujourd'hui qu'il n'en est rien. Mais dans les régions du Maghreb, ces orchidées sont encore déterrées pour préparer le très populaire salep. En Turquie notamment, 36 espèces parmi 10 genres sont en conséquence menacées d'extinction, et on estime à 42 le nombre d'espèces ayant déjà disparu au cours de la dernière décennie. |
Les ponts mycorhiziens
Des recherches récentes ont montré que des champignons associés à ces orchidées étaient également associés à des plantes chlorophylliennes (arbre, arbuste...) formant ainsi des ponts mycorhizien (wood‑wide‑web). Le carbone photosynthétique est donc cette fois véhiculé entre les deux plantes par le champignon symbiotique qui développe des mycorhizes sur ses deux hôtes.
La présence conjointe du même partenaire fongique constitue un indice de possible dérivation du carbone des arbres. Un flux de carbone allant de la plante chlorophyllienne à la non-chlorophyllienne est nettement visible par marquage des produits de la photosynthèse au carbone 14. Ce flux est d’autant plus marqué quand la plante non-chlorophyllienne est située à l’ombre. Ainsi certaines plantes sont bénéficiaires (par exemple les plantes de sous étages, privées de lumière) tandis que d’autres alimentent le réseau (les arbres dominants). Les échanges entre plantes reliées par un pont mycorhizien sont donc favorisés par l’ombrage de l’un des individus.
La forêt, qui semble être un milieu compétitif pour les plantes en constante lutte pour l’accès à la lumière, nous laisse ici apercevoir un autre de ces fonctionnements avec un réseau dans lequel les plantes s’échangent de manière élaborée les ressources nécessaires au développement de plusieurs d’entre elles. Il est tentant de voir les plantes mycohétérotrophes (et mixotrophes) telles que les Orchidées, comme des plantes qui ont manipulé les ponts mycorhiziens pour s’adapter à la vie à l’ombre des arbres.
C’est de part ces associations avec les champignons que les orchidées peuvent avoir un développement économe en ressource en possédant un système racinaire peu étendu. En effet, leur symbiose leur permet tout de même l’exploration d’un vaste volume de sol. C’est ainsi que ces plantes ont pu coloniser divers milieux parmi les plus difficiles, et donc des milieux moins occupés par d’autres espèces, et donc moins soumis à compétition pour les ressources environnementales.
Pour finir...
Les relations spécialisées qu’entretiennent les Orchidées en font des espèces particulièrement menacées en cas de perturbations brutales de leurs conditions environnementales, (altération de l’habitat naturel, disparition de ressources indispensable au maintien de l’espèce dans son habitat, etc.). Cependant, les orchidées étant souvent les seules bénéficiaires de leurs interactions avec leurs pollinisateurs, elles possèdent une flexibilité évolutive leur permettant de s’adapter à l’attraction d’autres pollinisateurs afin d’assurer la continuité de leur existence (à l’opposé du phénomène de coévolution).
Toujours est-il que de nombreuses espèces ont disparu ou sont menacées, principalement à cause de la destruction de leurs habitats (déforestation, artificialisation des lisières forestières, fragmentation des forêts, drainage des zones humides pour la culture ou l'assainissement, etc.) La demande de certains collectionneurs rentre aussi dans ce processus. Ainsi que la régression et la disparition des polinisateurs (insectes, oiseaux, chauve-souris).
Marine Millard
Références
Micorhize chez les Orchidées. (2016). In vitro Lab Micropropagation de plantes rare.
Schatz, B. (2018). La pollinisation rusée des orchidées. Jardins de France, 643, 28‑30.
Vereecken, N. J. (2012). Les clés de la pollinisation des Ophrys. Dans Les Ophrys d’Italie (p. 36‑45). Rémy Souche.