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Les influences de la pollution lumineuse

Qu'est-ce que la pollution lumineuse ?

René Kobler, architecte, ingénieur en environnement définit la pollution lumineuse comme "le rayonnement lumineux infrarouge, UV et visible émis à l’extérieur ou vers l’extérieur, et qui par sa direction, intensité ou qualité, peut avoir un effet nuisible ou incommodant sur l’homme, sur le paysage ou les écosystèmes."

La lumière des éclairages prend plusieurs formes (Sordello, 2017), elle est :

 

- Direct (cause des éblouissements)

- Précise (point lumineux fixe)

- Ambiante (luminosité)

- Projetée (sol/eau)

- Diffuse (halo lumineux, skyglow)

Ce sont ces différentes formes qui vont impacter :

- L'astronomie : 60% de la population ne voit plus la Voie Lactée (Falchi et al., 2016) ;

- Le sommeil et la santé ;

- Le paysage nocturne, la culture, la société (fragmentation, 40% de la facture des villes) ;

- La biodiversité : en général, là où nous retrouvons le plus de ces pollutions, c’est aussi l’endroit où nous avons le plus d’espèces menacées (Koen & al, 2018).

 

 

Cette pollution est en constante croissance puisque nous pouvons relever une augmentation de plus de 2% tous les ans.

Impacts sur les organismes vivants

Si nous nous axons sur la biodiversité, nous retrouvons ici aussi plusieurs impacts :

 

- Au niveau des oiseaux, nous remarquons plus de collision au niveau des tours éclairées (cette observation date de plus d’un siècle) ;

- Le phototactisme des individus ;

- Des effets d’attraction ou de répulsion des espèces (exemple : attraction des insectes au niveau des éclairages, répulsions des amphibiens et des mammifères se déplaçant la nuit au niveau de ces points lumineux impliquant une fragmentation des habitats) ;

- Impact aussi la relation entre espèces (pollinisation, relation proie/prédateur) ;

- Chronobiologie ;

- Services écosystémiques.

 

Focus sur les oiseaux

Pour commencer nous pouvons remarquer un impact sur la migration des oiseaux avec un phénomène de mortalité massive au pied de sources importantes de lumière (Kumlien, 1888). L’éblouissement des points lumineux au niveau des tours cause d’importantes désorientations chez les oiseaux migrateurs, nous remarquons que plus la structure lumineuse est haute plus la mortalité est importante (Longcore et al., 2008). Selon les études de Cabrera-Cruz et al., en 2018 : la période où la pollution lumineuse est la plus forte est synchronisé sur les périodes de migration.

La mortalité des oiseaux causés par la lumière peut être de différentes façons :

 

Collision ;

Epuisement ;

Gaspillage des ressources énergétiques pour contourner ces nouveaux obstacles (ressources qu’ils accumulent pour traverser des obstacles naturels).

 

Prenons un exemple : à New York, le mémorial du 11 septembre 2001 est constitué de 2 faisceaux lumineux qui éclairent le ciel pendant une soirée en septembre. Une étude en 2017 de Van Doren, montre qu’en l’espace de 7 nuits (1 nuit pendant 7 ans) plus d’1,1 millions d’oiseaux ont été touché par cette pollution du ciel. Suite à ces observations, les nuits des ornithologues surveillent le ciel et si le nombre d’oiseaux dépasse un certain seuil alors le mémorial est coupé le temps de la migration. Grâce à cette extinction, les oiseaux reprennent un migration normale.

Outre la migration, le rythme biologique des oiseaux se voit aussi impacté. Effectivement, la lumière est le plus puissant signal pour la synchronisation des rythmes biologiques circadiens (cycle de 24h) et circannuels endogènes avec les conditions extérieures (Dominoni, 2015).

 

Nous retrouvons des modifications dans les chants des oiseaux qui sont plus précoces le matin lorsqu’ils sont exposés à une lumière artificielle nocturne. Ce phénomène est exponentiel quand l’intensité de la lumière est élevée (Miller, 2006). Ainsi certains oiseaux (mésange bleu ou encore rouge-gorge), ayant pour habitude de chanter à la levée du jour, vont avoir une perturbation dans leur perception de l’aube.

Engoulevent d'Europe, Caprimulgus europaeus (source : inpn)
Engoulevent d'Europe, Caprimulgus europaeus (source : inpn)

Nous avons un impact sur le cycle du sommeil, comme pour les humains, ou encore sur la sélection des habitats. Nous retrouvons ici le phénomène d’attraction et de répulsion dû à l’éclairage.

 

Prenons des exemples pour illustrer ces phénomènes :

Les limicoles vont utiliser la lumière artificielle pour pécher plus efficacement car ils chassent à vue, néanmoins nous ne savons pas si cela est positif ou négatif pour les espèces.

Les Barges à queue noire évitent les zones lumineuses pour nidifier.

En Suisse, même avec des mesures de conservation de l’Engoulevent d’Europe, la population est en déclin… Sierro et Erhardt, en 2019 ont cherché à comprendre : durant les 30 dernières années, la population de papillon de nuit n’a pas changé voir à augmenter. A défaut, le niveau d’éclairage artificiel nocturne lui est deux à cinq fois plus important sur le site de nidification des Engoulevents. Ayant sa rétine habituée à la quasi totale obscurité pour chasser et avec la croissance des éclairages nocturnes, celui-ci ne peut plus chasser dans son habitat, ce qui expliquerait son déclin malgré les mesures prises pour le protéger.

 

Autres impacts sur la biodiversité

Sonneur à ventre jaune, Bombina variegata (source : inpn)
Sonneur à ventre jaune, Bombina variegata (source : inpn)

 

Pour les amphibiens, nous pouvons observer que lors de leur migration, les crapauds et grenouilles sont attirés par la lumière. Cela cause une plus forte « chance » de se faire prédater mais leur cause aussi une désorientation et un éblouissement. Par conséquent, ils ne savent plus distinguer : proies, prédateurs ou congénères (Jaeger & Hailman, 1973 et Creemers & al, 2017).

Oreillard roux, Plecotus auritus (source : inpn)
Oreillard roux, Plecotus auritus (source : inpn)

 

Prenons un autre exemple, pour les chauves-souris cela va dépendre de l’espèce que nous avons devant nous. Certaines vont profiter des éclairages pour chasser les insectes sous les lampadaires (phénomène d’attraction) ou au contraire vont éviter ces zones car elles ont besoin d’une totale obscurité pour chasser (phénomène de répulsion).

Changeons d’horizon et tournons-nous vers les plantes, leur cycle de photosynthèse étant régi par la lumière, il se retrouve perturbé par ces éclairages nocturnes.

La réglementation autour de la trame noire

Pour travailler sur les effets de la pollution lumineuse, la gestion des habitats se fait avec le principe de trame ou corridor écologique.

Vous connaissez peut-être les trames vertes et bleues (TVB) qui consiste à réhabiliter des couloirs permettant aux espèces de transiter d’un massif à un autre et de limiter les fragmentations des habitats.

 

Nous retrouvons la création de ces trames dans le Grenelle de l’environnement de 2009/2010. Parallèlement, nous retrouvons à la même date, l’incorporation de la notion de nuisance lumineuse dans le code de l’environnement. Néanmoins, il n’est pas fait de jonction entre les deux sujets (TVB et nuisance lumineuse).

Ainsi, pour la trame noire, il n’y a pas de texte réglementaire à proprement parler mais il est simplement fait mention dans la TVB de prendre en compte la question de l’obscurité pour le déplacement des espèces.

 

Finalement, la trame noire est surtout un engagement pris par les territoires, les collectivités ou encore les agences environnementales telles que l’OFB (Office Française pour la Biodiversité).

Comment identifier et fixer une trame noire

Il existe trois méthodes permettant d’identifier la trame noire :

Méthode déductive , c’est-à-dire que la trame noire est un sous-produit de la TVB (nous partons de la TVB et ce qui se trouve dans l’obscurité fait partie de la trame noire) ;

Méthode intégrative, qui consiste à faire une TVB dans l’obscurité. Les trames vertes et bleues se composent toutes les deux de sous trames que nous allons prendre en compte : milieu boisé, milieu ouvert, milieu humide, littoral, cours d’eau. L’idée est donc de reprendre ces mêmes sous-trames mais dans l’obscurité ;

Méthode d’inclusion, nous prenons les cartes de la TVB que l’on compare avec le réseau lumineux de la zone étudiée pour en déduire des zones de conflits.

 

Regardons ensemble par quelles étapes nous passons pour élaborer des trames noires :

Axes d’améliorations

Dans l’immédiat, nous pouvons agir sur trois axes pour diminuer la pollution lumineuse dans les villes :

L’axe spatial (la densité du réseau électrique, la position des pilonnes,…)

La caractéristique des luminaires (hauteur, spectre de lumière, flux,…)

L’axe temporel (horaire d’éclairage, durée,…)

 

A l’heure actuelle, 4 à 5 projets de trame noire ont été aboutie en France : le projet de Biotope à Lille, Dark Skylab dans les Pyrénées, Odyssée à Doué ou encore le SDAL de Rennes en 2012

Pour finir,

En France, il existe environ 11 millions de lampadaires. Ceux-ci sont l’une des grandes causes du déclin des insectes dans nos régions puisque pour une nuit, un lampadaire tue environ 150 insectes.

 

 

 

Un label a vu le jour dans les années 1988 permettant de classer les villes et villages qui ont une gestion de leur éclairage nocturne. Ce label crée ainsi des zones où sont développées des réserves de ciel étoilé. Nous pouvons retrouver ce label dans les Cévennes par exemple.

Certaines villes et villages prennent en compte le concept de trame noire dans leur gestion, c'est pour cela que nous trouvons des rues dans l’obscurité entre 23h et 6h du matin ou encore certains éclairages plutôt bleutés. Les scientifiques et écologistes cherchent encore quelles installations sont les plus appropriées pour allier protection et confort des usagers avec la biodiversité qui nous entoure. 

Leslie Changea

Bibliographie

Falchi, F., P. Cinzano, D. Duriscoe, C.C.M. Kyba, C.D. Elvidge, K. Baugh, B.A. Portnov, N.A. Rybnikova & R. Furgoni, 2016. The new world atlas of artificial night sky brightness. Science Advances 2 (6), e1600377.
Kumlien L. « Observations on Bird Migration at Milwaukee ». The Auk [En ligne]. 1888. Vol. 5, n°3, p. 325‑328. Disponible sur : < https://doi.org/10.2307/4067340 >
Longcore T., Rich C., Gauthreaux S. A. « HEIGHT, GUY WIRES, AND STEADY-BURNING LIGHTS INCREASE HAZARD OF COMMUNICATION TOWERS TO NOCTURNAL MIGRANTS: A REVIEW AND META-ANALYSIS ». The Auk [En ligne]. avril 2008. Vol. 125, n°2, p. 485‑492. Disponible sur : < https://doi.org/10.1525/auk.2008.06253 >
Cabrera-Cruz S. A., Smolinsky J. A., Buler J. J. « Light pollution is greatest within migration passage areas for nocturnally-migrating birds around the world ». Sci Rep [En ligne]. décembre 2018. Vol. 8, n°1, p. 3261. Disponible sur : < https://doi.org/10.1038/s41598-018-21577-6 >
Van Doren B. M., Horton K. G., Dokter A. M., Klinck H., Elbin S. B., Farnsworth A. « High-intensity urban light installation dramatically alters nocturnal bird migration ». Proc Natl Acad Sci USA [En ligne]. 17 octobre 2017. Vol. 114, n°42, p. 11175‑11180. Disponible sur : < https://doi.org/10.1073/pnas.1708574114 >
Dominoni D. M. « The effects of light pollution on biological rhythms of birds: an integrated, mechanistic perspective ». J Ornithol [En ligne]. décembre 2015. Vol. 156, n°S1, p. 409‑418. Disponible sur : < https://doi.org/10.1007/s10336-015-1196-3 >
Miller M. W. « APPARENT EFFECTS OF LIGHT POLLUTION ON SINGING BEHAVIOR OF AMERICAN ROBINS ». p. 10. 

 

Sierro et Erhardt, « Light pollution hampers recolonization of revitalised European Nightjar habitats in the Valais (Swiss Alps) ».

 

2019. Disponible sur : < https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs10336-019-01659-6 >

 

Jaeger & Hailman, « Effects of Intensity on the Phototactic Responses of Adult Anuran Amphibians: A Comparative Survey ». 1973. Disponible sur : < https://doi.org/10.1111/j.1439-0310.1973.tb02103.x >

 

 

van Grunsven, R. H., Creemers, R., Joosten, K., Donners, M., & Veenendaal, E. (2017). Behaviour of migrating toads under artificial lights differs from other phases of their life cycle, Amphibia-Reptilia, 38(1), 49-55. doi: https://doi.org/10.1163/15685381-00003081

 

Besnard A., Bourgeois M., Bizien C., Buffet V., Roca A. « LPO Délégation territoriale Aquitaine ». p. 45.