Le bois mort en forêt
Le bois mort concerne des arbres ou parties d'arbres de taille et de qualité différentes ayant dépéris, des rameaux de petit diamètre ou de gros troncs à divers stades de décomposition, sur pied ou à terre.
C'est un composant important du cycle forestier naturel, le bois mort est une base vitale pour de très nombreuses espèces tant animales que végétales. Pour conserver cette diversité d'espèces dans nos bois, nous devons prendre plusieurs éléments en compte : la quantité et la diversité de bois mort mais aussi sa position (sur pied/à terre), sa dimension (petit/moyen/gros diamètre), à l'exposition (ensoleillée/à l'ombre) et au stade de décomposition (frais/vermoulu).
Historique de la prise en compte du bois mort en forêt
Avant les années 1980, la faune et la flore que nous associons aux bois morts sont oubliées dans les conceptions de la biodiversité et de la sylviculture...
Ce n'est qu'au XIXe siècle qu'elles furent mises en lumière comme un danger par l'Administration forestière et le bois mort lui comme un déchet alors qu'à cette époque il avait été depuis longtemps une source vitale de bois de chauffage par les populations rurales (Bartoli et al., 2005).
Au XXe siècle, les scientifiques tentaient vainement d'impulser une autre vision de cette ressource (Dajoz, 1974 ; Silvestri, 1913 ; Speight, 1989)
C'est ainsi que pendant de nombreuses années, la flore et la faune inhérentes aux bois morts ont fait l'objet de négligences ou même intolérées dans de nombreux modèles de sylviculture en Europe... Ce n'est qu'au début des années 90 que nous remarquerons une avancer sociale sur ce sujet (Bensettiti et al., 2009; Dunn, 2005).
Au niveau des publications scientifiques sur le sujet de la faune et la flore du bois mort, nous commençons à voir émerger des scientifiques en Italie au début du XIXe siècle (Silvestri, 1913), en Scandinavie (Kangas, 1947) puis au milieu des années 1960 en France avec Dajoz en 1966.
Près de 2400 articles vont être publiés sur les bois morts entre 1980 et 2014 dont 70 écrits par plus de 120 chercheurs américains ou canadiens avant 1999 avec seulement 3 chercheurs écrivant en Europe. Avec si peu de chercheurs s'intéressant au bois mort, la France est au 8e rang avec 85 publications en 35 ans, mais dont la moitié a été publiée au cours des 5 dernières années (Deuffic, Bouget, et Gosselin, 2016).
Deuffic, Bouget, et Gosselin, en 2016 exposent que ce faible nombre de publications s'expliquerait en partie par le paradigme scientifique des spécialistes des sciences forestières à la fin des années 80. Effectivement, la modernisation forestière qui a eu lieu dans les années 1960 a poussé les forestiers et scientifiques à s'orienter plutôt vers de l'écologie appliquée qui consistait à déterminer et développer des guides de stations forestières et des modèles de gestions sylvicoles associées dans un domaine de production de bois.
C'est en 2003, que nous voyons émerger au niveau européen lors de la CMPFE (conférence des ministres en charge de la protection des forêts en Europe) , un indicateur "bois mort". Celui-ci indique à chaque État qu'il doit fournir des chiffres sur l'évolution des volumes de bois morts entre 1990 et 2010 (FOREST EUROPE et al., 2011). Ce que font 21 pays sur les 27 européens, néanmoins la France ne fait pas partie des pays ayant fourni ces chiffres.
Pourtant la France avait déjà un inventaire recensant le bois mort sur les parcelles forestières depuis 1995 (inventaire réalisé par l'Inventaire Forestier National) mais les représentants français avaient émis des doutes sur celui-ci puisqu'il ne recensait que les bois morts debout depuis moins de cinq ans suite à des perturbations biotiques ou climatiques. Ce qui est assez paradoxal dans cet inventaire c'est qu'il ne comptabilisait pas le bois mort accumulé à long terme.
Suite à cette découverte, l'IFN va élaborer en 2008 un nouvel indicateur plus représentatif de ce suivi. C'est ainsi que cet inventaire testé depuis 2011, dénombre en 2016 : 6,5 m3/ha de bois mort debout et 16,6 m3/ha de bois mort couché, soit un total de 23,1 m3/ha en moyenne dans les forêts françaises.
Si nous reprenons l'ancien indicateur, celui-ci plaçait la France au dernier rang ou presque en matière de densité de bois mort au niveau Européen avec seulement 2 m3/ha en moyenne de bois mort. Avec ce nouvel indicateur, nous nous retrouvons au 3e ou 4e rang.
Cette instauration de l’indicateur sur le bois mort a été possible parce que le contexte européen et international, a contraint les autorités françaises à prendre cette question au sérieux. Ainsi, la France comme l’ensemble des pays de l’Union européenne s'est dotée d’un indicateur bois mort.
La biodiversité et le bois mort
La première phase de décomposition est associée à la colonisation du bois frais qui est encore capable d'être conducteur de sève.
Ce sont les espèces saproxyliques ou xylophages primaires qui vont s'attaquer et s'alimenter de l'écorce ou de l'aubier (les deux premières couchent du tronc) d'essences forestières spécifiques.
Ces insectes comptent principalement diverses familles de coléoptères; nous pouvons retrouver des Scolytidae, des Cerambycidae, Buprestidae ou encore des Siridae.
Les insectes primaires détachent les premières couches de l'écorce du bois et facilitent le passage à d'autres insectes et champignons. La sciure ou encore les déjections qui se trouveront sur place après le passage des insectes primaires permettra aux suivants d'assimiler leurs nourritures plus facilement.
Le bois étant encore frais, les insectes vont eux attirer les pics dont les trous favoriseront l'apparition de champignons et c'est aussi ce qui accélèrera la décomposition du bois.
Pour ce qui est de la décomposition microbienne du bois, elle débute pendant cette première phase de colonisation qui dure environ deux ans.
Pendant la deuxième phase, le bois va débuter sa décomposition. l'écorce va complètement tomber, nous allons retrouver une diversité de vie complètement différente de la première phase. Les champignons et les bactéries commencent leur travaillent de décomposeur et nous retrouvons d'autres insectes appelés insectes saproxyliques secondaires.
Parmi ces insectes, certains préfèreront investir les galeries présentes dans le bois, d'autres préfèreront le bois partiellement décomposé, nous retrouvons les insectes prédateurs des insectes primaires mais encore ceux qui ont besoin des champignons.
Les familles que nous pouvons retrouver sont : les Pyrochroisae, les Lucanidae, les Tenebrionidae ou encore les Elataridae.
Durant la dernière phase de décomposition, le bois se désagrège et va être la proie des espèces xylophages tertiaires. Le bois qui est devenu vermoulu va accueillir différentes espèces de champignons et de bactéries qui auront pour rôle de dégrader la cellulose et de la lignine mais aussi des organismes du sol tels que les lombrics, gastéropodes, cloportes, scolopendre ou encore nématodes qui eux s'affairent pour que le bois devienne une partie intégrante du sol.
Autres avantages et contraintes de gestion avec le bois mort
Outre l'accueil d'une grande biodiversité, le bois mort protège aussi de différents aléas des habitats naturels : les troncs d'arbres au sol ou les souches sur pied stabilisent le sol. Les troncs au sol disposés de façon transversale ou oblique par rapport à la pente forment un barrage efficace contre les chutes de pierres en montagne mais encore les bois morts emmagasinent du carbone et de l'eau.
À l'inverse les chutes de branches mortes menacent les visiteurs, les bois morts accroissent aussi le danger d'incendie et le risque d'embâcle dans les cours d'eau est plus important notamment dans les Alpes.
Leslie Changea